De la piétonnisation à la bétonisation il n'y a qu'un pas

A Pantin - ou si vous préférez Brooklyn sur Ourcq¹ ou encore, depuis le début de l'année, Pantine² -, "les travaux de rénovation de la voirie et de piétonisation" du quai de l'Ourcq [ont pour but] de "favoriser les circulations douces en réservant cette partie du quai en priorité aux piétons, en permettant une continuité cyclable, tout en créant un espace de fraicheur en prévision des périodes de fortes chaleurs avec la plantation d'arbres et d'arbustes, et l'installation de jeux d'eau" (Informations riverains Quartier Mairie-Hoche 13/04/21).

On avait donc une route, un parvis, un quai et un canal. Un espace en majorité artificialisé. Qu'est-ce qu'on a fait ? Essentiellement remplacer le bitume par des pavés…         

Pour résumer : d'abord on reminéralise - car il s'agit bien de ça - puis pour compenser on met des jeux d'eau ! Mais en août 2023 toujours pas de jeux d'eau. Peut-être en installera-t-on en urgence quand la canicule sera là ? [ou au moins de grosses chaleurs par exemple durant la semaine du 4 au 10 septembre !]

Tout ça pour ça ? Autant ne rien faire - peu de véhicules passaient par là, la piste cyclable était déjà là, le parvis aussi - on aurait économisé le contenu d'énormes sacs de toile remplis de pavés (combien de tonnes ?), longtemps visibles sur le chantier à l'arrêt, Covid oblige.

Et en quoi consiste exactement l'aménagement ?

Essentiellement à de la végétalisation en pot ! Avec quelques jeunes arbres en pleine terre qui s'ajoutent à deux arbres déjà là. Deux, trois arbustes en pot donc - ces pots de fleurs géants qui flattent le regard malheureusement tellement à la mode, surement pratiques pour les jardiniers (ils n'ont pas à se baisser) mais anti-écolos au possible (pour Alain Sarfati, par exemple, architecte et urbaniste, « planter des magnolias en pots, c’est comme des poulets en batterie, c’est de la maltraitance végétale. Avec un effet sur la photosynthèse nul, car il n’y a pas suffisamment de profondeur de sol pour absorber le CO"¹). 

Bien sûr cet aménagement répond à une certaine logique puisque le quai se situe dans la continuité du parvis qui dessert le centre administratif et l'école maternelle La Marine.

Le problème n'est pas la piétonisation en tant que telle mais la manière dont elle a été pensé et réalisé.  Cela a été fait en dépit du bon sens selon une conception dépassée qui consiste à minéraliser (et à végétaliser un peu) alors qu'il aurait fallu désartificialiser …résultat : ce sera un ilot de chaleur même s'il y aura sans doute un petit effet albédo (les pavés de couleur claire réfléchiront la chaleur au lieu de l'absorber). S'il y a un jour des jeux d'eau la proximité du canal nécessitera de la part des parents une surveillance renforcée de leurs bambins.

En face, sur à peu près la même longueur, on avait déjà piétonnisé le quai devant la Cité de la Danse, parfait exemple d'architecture brutaliste dont le béton tombe en morceaux et donc en bonne  partie recouverte d'un filet de protection. Ce n'est pas un hasard si la série dystopique Trepalium a été tournée en partie sur place et…au siège du parti communiste à Paris ! La différence c'est que des véhicules doivent pouvoir passer pour entrer dans les entrailles du Monstre.

Avec le temps la végétation a poussé dans les plates-bandes coté Centre administratif mais celles-ci malheureusement servent parfois de dépotoir malgré la présence de 2 poubelles à proximité…

Avec les années et la pousse de la végétation (et de l'herbe entre les pavés disjoints comme dirait Alain Robbe-Grillet³ ) cela devrait s'améliorer malgré le défaut de conception initial . C'est peut-être l'aspect le plus intéressant : à certains endroits on a laissé pousser les "mauvaises herbes" entre les pavés. Cela porte un nom : "pavés plats aux joints enherbés".

Quid de l'arrosage ? A Paris on utilise de l'eau non potable, qu'en est-il à Pantin ? 

Les images montrent...l'absence de bancs. Il faut dire qu'ils ont mauvaise presse dans les municipalités : quoi de mieux pour créer un abcès de fixation ? Il ne manquerait plus que des SDF y élisent domicile ou que des "djeunes" s'y installent  pour écluser des canettes...devant le Centre Administratif, siège du pouvoir municipal !

Quai de l'Aisne en face on piétonnise aussi . Cela a commencé devant l'école maternelle St Exupéry puis cela s'est étendu jusqu'à la rue de la Distillerie. Ici pas de gros travaux : une barrière à chaque bout, des aménagements pour faire un couloir piéton, un couloir plus large pour les cyclistes, de la signalisation au sol. 

Le quartier de la pointe, lui, est bien plus vaste, conçu probablement 10 ans avant…voire, étant donné le temps qu'il faut pour concrétiser un projet dans notre bel hexagone, 20 ou 30 ans ! La ZAC du port, appelée aussi Newport Pantin (!), 6 hectares de "lieux de vie", autrement dit des habitations (des immeubles donc des parallélépipèdes rectangles), bureaux, restaus,  et autres lieux culturels "redonnant une place centrale à ce plan d'eau [encore et toujours le canal] si cher aux pantinois" (Seine-Saint-Denis tourisme). En réalité une plus large place encore est donnée au béton et à la minéralisation des sols.  D'abord, vu de l'autre côté du canal, le nouveau quartier offre un "front" qui évoque, de loin,  le "front de seine". Tous les immeubles sont à égale distance du canal (et peut-être aussi entre eux), alignés comme à la parade, ce qui donne une impression, un peu désagréable, de bloc. L'hiver c'est sinistre. Mais bon, le règlement c'est le règlement ! Ensuite tous les immeubles se ressemblent, même s'ils ont sans doute tous des architectes différents, ils ont un air de famille. On évite le néo-haussmannien mais le modernisme affiché manque d'originalité.

Tout cela dans le prolongement du navire amiral - les anciens Magasins Généraux réaménagés par BETC après des années (des décennies ?) d'abandon puis une courte période où les Streets artistes ont pu s'exprimer à loisir sur leurs murs. Avant il n'était même pas possible de passer de ce côté-là du quai sans déclencher une sirène d'alarme ! La réhabilitation des Magasins Généraux est assez réussie mais le tout est assez froid surtout l'hiver (!). Il y a bien quelques espaces verts entre certains immeubles mais réduits à la portion congrue. On aurait pu et dû verdir bien davantage. Créer des noues qui, certes, attirent les moustiques - d'où l'intérêt d'inviter aussi les oiseaux dans les parages - mais permettent surtout à l'eau de s'infiltrer.

Sur la Place de la pointe l'organisation de nombreux événements nécessite d'avoir de l'espace. Là aussi on aurait tout de même pu végétaliser davantage. Apparemment le problème a été identifié puisqu'on a ajouté quelques pots de fleurs grand format (encore !) surmontés d'un treillis métallique destiné à soutenir une plante grimpante. A terme de quoi s'abriter un peu au milieu de cet autre ilot de chaleur !

Ce phénomène n'a bien sur pas échappé à un élu municipal d'opposition : " la bétonisation a eu pour conséquence d'avoir moins d'espaces verts et de respiration avec pour exemple le manque de végétalisation de la Place de la Pointe et les mauvais aménagements de la nouvelle partie piétonne du quai de l'Aisne (les piétons sont obligés de marcher sur les aniciennes places de stationnement"(Canal le journal de Pantin avril 2023).

Ainsi trop souvent piétonisation rime avec bétonisation du sol. Ici on peut au moins espérer que l'eau qui ne pourra pas pénétrer ce sol en grande partie imperméabilisé s'écoulera dans le canal…

1 En 2011 une journaliste du New York Times a comparé Pantin à Brooklyn ancien quartier industriel devenu un quartier branché

2 Le maire socialiste Bertrand Kern a décidé de rebaptiser symboliquement la ville en hommage aux femmes

3 Cf Djinn un trou entre les pavés disjoints Ed de Minuit 1985