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http://www.flyandrive.com/images/portraits/clostermann02.jpgPierre Clostermann, qui s'est éteint le 22 mars 2006, fut un "as" des forces aériennes françaises libres durant la seconde guerre mondiale.

 

Dès son engagement il entreprend de jeter des notes sur un "gros cahier d'ordonnance de l'Air Ministry". PC veut simplement "tous les soirs décrire sa journée"  à...ses parents, Français libres, eux aussi mais réfugiés à 10 000 kilomètres de là, à Brazzaville... il souhaite évoquer pour eux "cette vie nouvelle en Angleterre avec la R.A.F. et les forces aériennes libres, cette vie si pleine d'émotions, d'imprévu - ingrate, mais très belle."

 

Si il est tué ou porté disparu, son espoir est que ce cahier permette à ses parents de "retrouver sa présence et sa voix, comme une consolation."

 

S'il s'est décidé ensuite à publier ces notes c'est d'abord en mémoire de tous les disparus...car sur les cinq cents jeunes aviateurs français des F.A.F.L., rares sont les survivants...mais également pour ces Français qui n'ont pas la moindre notion de ce qui s'est passé de l'autre côté de la Manche et parfois préfèrent, la guerre venant tout juste de se terminer, continuer à l'ignorer...pour ceux aussi qui pourront y trouver de quoi soutenir "leurs espérances et leur foi".

 

Quoiqu'il en soit ces pages "sont une sorte de reportage". Vécu et raconté à la première personne...

                                                                 _______________________________

 

Pierre Clostermann n'a pas participé à la fameuse bataille d'Angleterre mais il est là lorsque sonne l'heure de la reconquête. Contrairement à une idée répandue la Luftwaffe, bien que vaincue, n'a pas encore dit son dernier mot...

 

Après l'école de chasse en Ecosse, vient le moment, attendu et redouté tout à la fois, de la première mission, le premier grand "show" sur la France.

 

Il ne dissimule rien de ce qu'il ressent : "...un lancinant mélange de curiosité et d'angoisse...(le) désir un peu malsain de connaître la peur - la vraie peur, celle de l'individu face à la mort. Et cependant il y a quand même, bien enraciné, le vieux scepticisme du civilisé...La routine des études, les voyages confortables, les humanités, la vie à la ville, tout cela, à vrai dire, laisse bien peu de place à la notion de danger mortel ou à l'épreuve du courage purement physique...".

 

Au mess sa portion de purée passe difficilement. Il est 12 h 35. Briefing !

 

13 h 50. Voici la France ! D'un seul coup d'aile, les vingt-quatre Spitfires s'enlèvent et grimpent vers le ciel, accrochés à l'hélice, 1.000 mètres à la minute.

 

Voilà les boches (en anglais : les Huns)  ! "Je suis fasciné - ma gorge se serre - mes orteils se crispent dans mes bottes. J'étouffe dans mon carcan de ceintures, de bretelles, de boucles et de fils...je bascule de toutes mes forces mon avion, j'enclenche la surpuissance... d'un furieux coup de pied au palonnier, je décroche mon Spit et une aigre nausée de peur me coule entre les dents...Et je vois mon premier boche  ! Je l'identifie aussitôt - c'est un Focke Wulf 190 !"

 

Cette "première fois" sera pour PC une mission sans victoire mais il revient entier et aura vécu son baptème du feu...

 

26 septembre 1943 - Quatre heures du matin. Cette fois PC part seul pour un vol de calibration des stations de radio-location (radar).

 

"Sous mes ailes, c'est la nuit - et je suis seul, à 10.000 mètres d'altitude, dans le jour. Je suis le premier à aspirer, dans le froid glacial, la vie chaude des rayons qui percent les prunelles comme des flèches...".

 

Lors de ces missions aériennes le danger ne vient pas seulement des avions ennemis mais aussi de la terrible Flak allemande (la D.C.A).

 

"La précision de la Flak est infernale. Cinq postes me prennent immédiatement entre leurs feux croisés. Le coeur battant à se décrocher dans ma poitrine, j'essaie de dérégler leur tir à grands coups de bottes au palonnier afin de faire déraper l'avion. Rien à faire. Je suis atteint de plein fouet par trois 20 mm qui traversent mes plans sans exploser. Il ne s'agit plus d'attaquer mais bien de sauver ma peau...".

 

En allant chercher refuge dans le plafond de nuages qui roulent gris et sombres à environ 800 mètres de hauteur, il perd la protection du sol et pendant les quelques secondes que dure la montée il est touché à quatre reprises - un bous explosant dans l'aileron gauche, trois balles dans la profondeur et une autre au travers d'une des pales d'hélice...

 

A l'arrivée il est obligé de faire un atterrissage en épisodes - deux ou trois bonds énormes corrigés à grands coups de gomme.

 

Sans doute possible, PC a la "baraka" !

 

Mission d'interception au large de la Norvège.

 

Pour s'échapper, le boche se sert à profusion du dispositif de surpuissance GM-1 de son Messerschmitt 109 G et continue de garder son avance. 

 

En piqué on atteint vite la vitesse du son, et alors, gare ! On risque fort de se retrouver accroché au parachute, en caleçon, en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire.

 

Jacques qui pilote le second Spit, plus récent, passe devant et ouvre le feu à six cents mètres. Le Me-109 se déchire soudain comme du papier de soie, éclate comme une grenade...


Mais Pierre est en difficulté. 8.000 pieds. Il faut redresser. Il tire sur la profondeur, doucement mais fermement. Dans l'air plus dense les commandes accrochent, et il voit l'horizon qui commence à filer sous le nez de l'avion - mais la mer est déjà là ! Ce n'est plus le bloc solide qu'il voyait à 40.000 pieds - c'est une masse mouvante verdâtre, ourlée d'écume, qui se rue vers son avion. Il tire sur le manche - rien à faire. Alors il risque le tout pour le tout : il donne un tour de manivelle aux compensations de la profondeur...

 

Immédiatement un voile de sang s'étend sur ses yeux, il sent sa colonne vertébrale et ses os qui se tordent, un déchirement dans les entrailles, les joues qui se tirent sur les orbites, comme des doigts qui arrachent les nerfs optiques...

 

Il s'en tire mais apprend à son retour que Jacques a du se poser sur le ventre dans un champ de l'île de Stromsay, son avion ayant été endommagé par les débris du Me-109...  

 

Le jour du débarquement la Luftwaffe est étrangement absente du ciel. 

 

Le 17 juin 1944, c'est le départ définitif pour la France. Les Allemands reculent.

 

Le 11, la première nuit en France depuis quatre ans, à Bazenville, n'a pas été de tout repos. En effet tous les soirs à 11 heures la Luftwaffe vient souhaiter une bonne nuit aux aviateurs alliés fraîchement débarqués sur le continent. A l'heure dite Junkers 88 et Dornier 217 lâchent des bombes de tous côtés. Dans l'abri c'est une avalanche de pilotes, de gamelles, de thé, de biscuits, de bottes de vol...

 

Le départ a été rocambolesque. Comme d'habitude Pierre a trop de choses à emporter dans son cockpit : entre autres deux énormes saucissons et un gilet de sauvetage bourré d'oranges !   

 

En juillet 44, après bien des missions, il est retiré des opérations. Bien qu'on ait doublé sa dose de benzédrine ses nerfs sont près de lacher : Jacques lui a fait remarquer qu'il avait des tics nerveux comme une vieille fille morphinomane ! Et il a perdu huit kilos en quinze jours...

 

Il doit quitter son escadrille. C'est en bateau qu'il doit regagner l'Angleterre mais le voyage, là encore, n'est pas de tout repos : des Dornier de la Luftwaffe attaquent le convoi et un pétrolier saute.

 

A terre la bataille de Caen fait rage. "Les hélices commencent à battre la cadence lente et monotone du retour pour mon coeur lourd de souvenirs, d'amitiés et de deuil."

 

La guerre, pour lui, n'est pas finie pour autant. Une fois remis et après une courte formation sur Typhoon il est de retour, désigné pour un poste de commandant d'escadrille ou de groupe dans l'escadre de son choix. 

 

Des Typhoons transformés donnent naissance aux chasseurs les plus modernes de toutes les forces alliées : les Hawker Tempest V.

 

Les premiers groupes sont lancés contre les V1 qui menacent Londres : près de neuf cents d'entre eux explosent en mer sous leurs coups.

 

A l'hiver 44 la guerre était entrée dans une période statique, les troupes alliées se reformant et consolidant leurs positions sur la rive gauche du rhin.

 

Malgré les bombardements massifs des usines Focke Wulf et Messerschmitt et bien que les services d'Informations alliés affirment le contraire, la Luftwaffe continue à aligner des effectifs en ligne importants.

 

Les Allemands reconstruisent et remettent en état rapidement les usines bombardées et surtout multiplient les usines souterraines invulnérables.

 

Ils parviennent même à produire des avions à réaction : le Messerschmitt 262, l'Henshel 162 Volksjaeger (chasseurs) et l'Arado 234 (reconnaissance et bombardement).

 

Le premier de ces appareils aurait pu être le roi des chasseurs si Hitler n'avait pas d'abord obligé  le constructeur à modifier son appareil en avion de représailles destiné à opérer contre l'Angleterre.

 

Le 29 juin 1944, il pleut. "Le ciel tout à coup s'élargit, et, sorti du banc de pluie, j'émerge dans une caverne sombre, aux reflets glauques comme ceux d'un aquarium, flanquée par des piliers de pluie".

 

PC, seul dans le ciel, est perdu. "Je sors à trois mille mètres, au milieu d'un dédale de nuages. D'immenses cumulus en forme de tours en émergent, grimpent tout droit dans le ciel bleu jusqu'à des hauteurs vertigineuses, formant des canyons, des couloirs cyclopéens aux parois de neige éblouissante". 

 

Soudain une dizaine de points noirs se rapprochent à tout vitesse : des Focke Wulf !

 

Il faut réussir à filer dans les nuages et à les dépister...mais attention "c'est toujours le boche que l'on ne voit pas qui vous descend...".

 

La partie semble perdue d'avance. Enfin, après avoir essuyer de nombreux tirs et effectué des manoeuvres très violentes, il se précipite dans la couche de nuages. Sauvé !

 

 

Après plus de trois cent missions de guerre mais aussi quatre mois de bureau et de confort, PC rempile : il n'aura plus à s'inquiéter du ministère de l'Air de Paris, avec ses incohérences, ses colonels gâteux, ses "résistants", ses contrordres, et tous les individus louches, aux uniformes bizarres, qui ont apparus là-bas à la surface comme l'écume sur la confiture.

 

 

Après la libération de la France les aviateurs français ont continué le combat...pour échapper à l'ambiance fétide d'appétits, de servilité, de haine et de marchandage, pour conserver ce qu'il (leur) restait d'illusions.

 

Mais il n'est pas simple de se retremper après chaque mission dans une vie normale et saine : atroce régime de douche écossaise !

 

Ils savent à l'occasion rendre hommage à l'ennemi. Lorsque Walter Nowotny, héros de la Lutwaffe, est tué son nom revient souvent dans la conversation, évoqué sans rancune et sans haine, avec respect, avec affection presque.

 

Chez les aviateurs aussi il est parfois aussi des combats moins nobles : ces mitraillages de train dans l'aube grise des matins d'hiver, où l'on essaie de rester sourd  aux hurlements de terreur, de ne pas voir les mécaniciens qui se tordent dans les jets brûlants de vapeur...tout cette besogne inhumaine, immorale que nous devons faire parce que nous sommes soldats et que c'est la guerre. 

 

Leurs aérodromes détruits, les allemands utilisent une section de l'autostrade pour essayer leurs Henshel 162 ou Volksjaeger à réactions.

 

PC a rebaptisé son avion le Grand-Charles.

 

Un millier de prisonniers français délivrés par l'avance alliée semblent avoir gardé au moins un trait bien français : ils passent leur temps à grogner !

 

 

Enfin c'est l'armistice, comme une porte qui se ferme.

 

La détente des nerfs bandés fut effroyable, douloureuse comme une naissance.

 

C'était à en hurler.

 

 

Le premier juillet 45, les avions défilent à Copenhague. Et puis c'est l'accident : à 300 à l'heure le Tempest de Pierre Clostermann éventre la roulotte de contrôle et se désintègre sur un demi-kilomètre, en semant des débris broyés d'aile, de moteur et d'empennage.

 

Il s'en tire indemme mais hébété. Il comprend que c'était l'ultime effort, le dernier miracle et le dernier avertissement du Destin qui se lassait.

 

Le Grand Cirque est parti. Le public a été satisfait.

 

Nous sommes des objets de l'incohérence générale...Nous sommes des morceaux d'une grande construction dont il faut plus de temps, plus de silence et plus de recul pour découvrir l'assemblage. 

 

A. DE SAINT-EXUPERY (Pilote de Guerre).

 

 

 

 

Tag(s) : #Journal de lecture
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